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Enrique de Malacca, traitre ou héros ?




Enrique un traître, un héros ou un homme ballotté par les évènements ?


Fernão de Magalhães meurt le 27 avril 1521 au cours d’un affrontement entre tribus locales, un obscur combat sans lendemain. L’expédition est désemparée. Ses ordres étaient d’atteindre les îles aux épices par le Sud-ouest par une route à ouvrir et repartir par le Nord-est par une autre route inconnue (les fins fonds du Canada et du Groenland, brrr).


Eh oui le tour du monde n’était pas du tout prévu, ceci pour une bonne raison, le traité de Tordesillas. Signé en 1494 cet accord divisait le monde à explorer — à exploiter sinon conquérir — en deux. L’Ouest aux Espagnols, l’Est aux Portugais. De fait Madrid n’avait ni le droit ni l’intérêt d’inaugurer une route vers les îles aux épices si celle-ci traversait la zone dévolue aux Portugais (en gros l’Insulinde, l’océan indien et l’Afrique).


Juan Sebastián Elcano, le pilote qui succédera à Fernão de Magalhães en décidera autrement, l’expédition est trop mal en point pour tenter l’aventure dans l’océan Pacifique Nord. Sage décision, leurs caravelles n’auraient pas supporté les glaces polaires, l’échec et la mort aurait été au rendez-vous.


En attendant le départ, le 1er mai le roi Hunabon invite les Portugais à un banquet, certains marins se méfient et ne daignent pas descendre à terre. À juste raison, c’est un traquenard, 26 hommes sont capturés. Antonio Pigafetta nous livre un récit imagé. Soudainement les hommes restés à bords des navires entendent « 𝑑𝑒𝑠 𝑔𝑟𝑎𝑛𝑑𝑠 𝑐𝑟𝑖𝑠 𝑒𝑡 𝑔𝑒́𝑚𝑖𝑠𝑠𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡𝑠 » en provenance de la terre ferme. Un homme jaillit du couvert des arbres, il court éperdument vers la plage. « 𝘑𝘰𝘢𝘰 𝘙𝘰𝘥𝘳𝘪𝘨𝘶𝘦𝘴 𝘚𝘦𝘳𝘳𝘢𝘰, 𝘦𝘯 𝘤𝘩𝘦𝘮𝘪𝘴𝘦, 𝘭𝘪𝘦́ 𝘦𝘵 𝘣𝘭𝘦𝘴𝘴𝘦́, 𝘲𝘶𝘪 𝘤𝘳𝘪𝘢𝘪𝘵 𝘲𝘶𝘦 𝘯𝘰𝘶𝘴 𝘯𝘦 𝘵𝘪𝘳𝘢𝘴𝘴𝘪𝘰𝘯𝘴 𝘱𝘭𝘶𝘴, 𝘤𝘢𝘳 𝘯𝘰𝘶𝘴 𝘭𝘦 𝘵𝘶𝘦𝘳𝘪𝘰𝘯𝘴 : 𝘪𝘭 𝘯𝘰𝘶𝘴 𝘥𝘪𝘵 𝘲𝘶𝘦 𝘵𝘰𝘶𝘴 𝘦́𝘵𝘢𝘪𝘦𝘯𝘵 𝘮𝘰𝘳𝘵𝘴, 𝘴𝘢𝘶𝘧 𝘭𝘦 𝘵𝘳𝘶𝘤𝘩𝘦𝘮𝘦𝘯𝘵. »


Tout est dit, Enrique a trahi selon la version espagnole. Pigafetta précise que le capitaine du Trinidad avait refusé de reconnaître le testament où Fernão de Magalhães affranchissait Enrique après son décès. (Voir première partie)


« 𝘕𝘰𝘵𝘳𝘦 𝘵𝘳𝘶𝘤𝘩𝘦𝘮𝘦𝘯𝘵 𝘯𝘰𝘮𝘮𝘦́ 𝘌𝘯𝘳𝘪𝘲𝘶𝘦, 𝘢𝘺𝘢𝘯𝘵 𝘦́𝘵𝘦́ 𝘶𝘯 𝘱𝘦𝘶 𝘣𝘭𝘦𝘴𝘴𝘦́ 𝘯’𝘢𝘭𝘭𝘢𝘪𝘵 𝘱𝘭𝘶𝘴 𝘢̀ 𝘵𝘦𝘳𝘳𝘦 𝘧𝘢𝘪𝘳𝘦 𝘯𝘰𝘴 𝘤𝘩𝘰𝘴𝘦𝘴 𝘯𝘦́𝘤𝘦𝘴𝘴𝘢𝘪𝘳𝘦𝘴, 𝘮𝘢𝘪𝘴 𝘥𝘦𝘮𝘦𝘶𝘳𝘢𝘪𝘵 𝘵𝘰𝘶𝘫𝘰𝘶𝘳𝘴 𝘦𝘯𝘷𝘦𝘭𝘰𝘱𝘱𝘦 𝘦𝘯 𝘶𝘯𝘦 𝘤𝘰𝘶𝘷𝘦𝘳𝘵𝘶𝘳𝘦 𝘥𝘦 𝘭𝘢𝘪𝘯𝘦. 𝘗𝘢𝘳 𝘲𝘶𝘰𝘪 𝘋𝘶𝘢𝘳𝘵𝘦 𝘉𝘢𝘳𝘣𝘰𝘴𝘢, 𝘨𝘰𝘶𝘷𝘦𝘳𝘯𝘦𝘶𝘳 𝘥𝘦 𝘭𝘢 𝘯𝘦𝘧 𝘤𝘢𝘱𝘪𝘵𝘢𝘯𝘦, 𝘭𝘢 𝘛𝘳𝘪𝘯𝘪𝘥𝘢𝘥, 𝘭𝘶𝘪 𝘥𝘪𝘵 𝘵𝘰𝘶𝘵 𝘩𝘢𝘶𝘵 𝘲𝘶𝘦, 𝘮𝘦̂𝘮𝘦 𝘴𝘪 𝘭𝘦 𝘤𝘢𝘱𝘪𝘵𝘢𝘪𝘯𝘦 𝘴𝘰𝘯 𝘚𝘦𝘪𝘨𝘯𝘦𝘶𝘳 𝘦́𝘵𝘢𝘪𝘵 𝘮𝘰𝘳𝘵, 𝘪𝘭 𝘯’𝘦́𝘵𝘢𝘪𝘵 𝘱𝘢𝘴 𝘱𝘰𝘶𝘳 𝘢𝘶𝘵𝘢𝘯𝘵 𝘢𝘧𝘧𝘳𝘢𝘯𝘤𝘩𝘪 𝘯𝘪 𝘭𝘪𝘣𝘦́𝘳𝘦́. 𝘔𝘢𝘪𝘴 𝘪𝘭 𝘷𝘰𝘶𝘭𝘢𝘪𝘵 𝘲𝘶’𝘢𝘳𝘳𝘪𝘷𝘦́ 𝘦𝘯 𝘌𝘴𝘱𝘢𝘨𝘯𝘦, 𝘪𝘭 𝘳𝘦𝘴𝘵𝘢̂𝘵 𝘵𝘰𝘶𝘫𝘰𝘶𝘳𝘴 𝘦𝘴𝘤𝘭𝘢𝘷𝘦 𝘥𝘦 𝘔𝘮𝘦 𝘉𝘦𝘢𝘵𝘳𝘪𝘻, 𝘧𝘦𝘮𝘮𝘦 𝘥𝘶 𝘧𝘦𝘶 𝘤𝘢𝘱𝘪𝘵𝘢𝘪𝘯𝘦 𝘮𝘢𝘫𝘦𝘶𝘳. 𝘌𝘵 𝘪𝘭 𝘭𝘦 𝘮𝘦𝘯𝘢𝘤̧𝘢 𝘥𝘦 𝘭𝘦 𝘧𝘰𝘶𝘦𝘵𝘵𝘦𝘳 𝘴’𝘪𝘭 𝘯’𝘢𝘭𝘭𝘢𝘪𝘵 𝘦𝘯 𝘵𝘦𝘳𝘳𝘦. 𝘈̀ 𝘤𝘦𝘴 𝘮𝘰𝘵𝘴, 𝘭’𝘦𝘴𝘤𝘭𝘢𝘷𝘦 𝘴𝘦 𝘭𝘦𝘷𝘢 𝘦𝘵, 𝘧𝘦𝘪𝘨𝘯𝘢𝘯𝘵 𝘥𝘦 𝘯𝘦 𝘱𝘢𝘴 𝘵𝘦𝘯𝘪𝘳 𝘤𝘰𝘮𝘱𝘵𝘦 𝘥𝘦 𝘴𝘦𝘴 𝘱𝘢𝘳𝘰𝘭𝘦𝘴, 𝘢𝘭𝘭𝘢 𝘦𝘯 𝘵𝘦𝘳𝘳𝘦 𝘥𝘪𝘳𝘦 𝘢𝘶 𝘳𝘰𝘪 𝘤𝘩𝘳𝘦́𝘵𝘪𝘦𝘯 𝘱𝘰𝘶𝘳 𝘭𝘶𝘪 𝘥𝘰𝘯𝘯𝘦𝘳 𝘢̀ 𝘦𝘯𝘵𝘦𝘯𝘥𝘳𝘦 𝘲𝘶𝘦 𝘯𝘰𝘶𝘴 𝘷𝘰𝘶𝘭𝘪𝘰𝘯𝘴 𝘱𝘢𝘳𝘵𝘪𝘳 𝘴𝘰𝘶𝘥𝘢𝘪𝘯. 𝘔𝘢𝘪𝘴 𝘲𝘶𝘦 𝘴’𝘪𝘭 𝘷𝘰𝘶𝘭𝘢𝘪𝘵 𝘧𝘢𝘪𝘳𝘦 𝘴𝘦𝘭𝘰𝘯 𝘴𝘰𝘯 𝘤𝘰𝘯𝘴𝘦𝘪𝘭, 𝘪𝘭 𝘨𝘢𝘨𝘯𝘦𝘳𝘢𝘪𝘵 𝘵𝘰𝘶𝘴 𝘯𝘰𝘴 𝘯𝘢𝘷𝘪𝘳𝘦𝘴 𝘦𝘵 𝘮𝘢𝘳𝘤𝘩𝘢𝘯𝘥𝘪𝘴𝘦𝘴. 𝘌𝘵 𝘢𝘪𝘯𝘴𝘪 𝘪𝘭 𝘰𝘳𝘥𝘰𝘯𝘯𝘢 𝘶𝘯𝘦 𝘵𝘳𝘢𝘩𝘪𝘴𝘰𝘯, 𝘱𝘶𝘪𝘴 𝘭’𝘦𝘴𝘤𝘭𝘢𝘷𝘦 𝘴’𝘦𝘯 𝘳𝘦𝘵𝘰𝘶𝘳𝘯𝘢 𝘢𝘶𝘹 𝘯𝘢𝘷𝘪𝘳𝘦𝘴 𝘦𝘵 𝘴𝘦 𝘮𝘰𝘯𝘵𝘳𝘢 𝘱𝘭𝘶𝘴 𝘴𝘢𝘨𝘦 𝘦𝘵 𝘢𝘧𝘧𝘦𝘤𝘵𝘪𝘰𝘯𝘯𝘦́ 𝘲𝘶’𝘢𝘶𝘱𝘢𝘳𝘢𝘷𝘢𝘯𝘵. »


Le traître par excellence, sauf que contrairement aux cris de Serrao, tous les Espagnols n’étaient pas morts. Sebastián de Puerta un des survivants retrouvés en 1528 livre un récit différent où huit marins furent vendus comme esclave à des commerçants chinois. Aucune nouvelle d’Enrique, il s’est éclipsé sans aucune trace.


Capturé à Malacca en 1511, disparu à Cebu en 1521, a-t-il effectué le tour du monde ? Nul n’en sait rien, le chaînon manquant reliant Cebu à Malacca brille par son absence. Sans preuve matérielle la légende s’est emparée du personnage.


Un écrivain malaisien, Harun Aminurrashid publia en 1958 Panglima Awang, « Jeune Capitaine » un roman où Enrique est transfiguré en héros national luttant contre l’oppresseur occidental. L’intrigue présente Fernão de Magalhães comme un tyran, pour survivre le pauvre Enrique se replie sur lui-même attendant en silence son heure…


C’est une fiction mais pourquoi pas, d’un côté nous avons le traître devant l’éternel, de l’autre un héros précurseur des combats anticolonialistes à venir. L’Occident versus l’Orient somme toute, libre à chacun d’y voir midi à sa porte.


Pour ma part ce n’est ni un héros ni un traître, juste une personne ballottée par des évènements qui dépasseraient quiconque. Je retiens que Fernão de Magalhães souhaitait réellement l’affranchir en lui faisant un legs substantiel (10 000 maradévis), ce qui induit une solide amitié entre les deux hommes. Le geste est énorme pour l’époque, nous ne sommes pas au XXe siècle, mais au XVIe, celui de la naissance du commerce triangulaire, des grands feux de la Sainte Inquisition et bientôt des guerres de religion.


Après que son affranchissement lui soit dénié peut l’avoir poussé à la trahison, ayant lui-même été trahi… Par contre était-il nécessaire d’inciter le roi Hunabon à tenter de capturer les Espagnols ? Je n’en suis pas certain, la mort de Fernão de Magalhães du amoindrir leur aura auprès de leurs hôtes, si un simple vassal pouvait occire le chef des nouveaux venus… Hunabon a pu rêver de faire main basse sur leurs richesses. La vente d’au moins huit Espagnols en tant qu’esclaves montre qu’il n’était pas insensible aux petits profits.


Pour ce qui est du héros nationaliste, là il s’agit d’un roman, y voir les prémices des luttes anticoloniales est par trop hâtif. Diable, attendons que les Philippines soient conquises avant que les natifs songent à leur émancipation.


Enfin le sort d’Enrique demeure un mystère, accueille-t-on un homme qui a servi l’ennemi avant de le trahir avec bonhomie ? Il pourrait trahir à nouveau. A-t-il seulement trahi ? Rien ne le prouve formellement. Détail de l’histoire, les équipages des navires portugais et espagnols n’étaient pas composés de la crème des hommes, les prisons étaient régulièrement vidées de leurs condamnés. Le choix était simple, la hart où les Indes ! Du coup nombre se découvraient une vocation de marin. Dans ses lettres Afonso de Albuquerque évoque la vie à bord de ses escadres où il y avait plus de coups de couteau que dans les bas-fonds de Lisbonne.


Imaginer ce qu’il se passait quand de tels hommes débarquaient dans un port après de longs mois en mer. Il ne serait nullement surprenant que le roi Hunabon n’ait pas goûté les assiduités des Espagnols auprès des femmes.


Enrique demeure un mystère, traître ou héros, l’interprétation tient plus à nos conceptions d’Occidentaux ou d’Orientaux. Un jour sur FB, j’ai lu un commentaire sur Panglima Awang « 𝘭𝘦 𝘤𝘰𝘮𝘮𝘰𝘥𝘰𝘳𝘦 𝘲𝘶𝘪 𝘥𝘪𝘳𝘪𝘨𝘦𝘢 𝘭𝘦𝘴 𝘌𝘴𝘱𝘢𝘨𝘯𝘰𝘭𝘴 𝘫𝘶𝘴𝘲𝘶’𝘢𝘶𝘹 𝘪̂𝘭𝘦𝘴 𝘢𝘶𝘹 𝘦́𝘱𝘪𝘤𝘦𝘴 ».


C’est un brin too much là, comme la photo d’illustration dudit commodore qui disposait d’une cabine digne de son rang. Pour la petite histoire, j’ai réalisé ce cliché dans le musée de la forteresse de Malacca.


Et qu’on ne vienne pas me dire que les Occidentaux maltraitaient leurs esclaves ! En voici la preuve formelle.

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